TVA sur marge des marchands de biens

et

Droit communautaire : le couple infernal ?

 Voici déjà un an que nous avions évoqué les conséquences inattendues, en matière de TVA sur marge grevant les cessions de terrains à bâtir, de l’incompatibilité du droit interne français avec la directive n° 2006/112/CE relative au système commun de TVA (Cf « Tempête sur la TVA immobilière : l’Etat doit-il restituer la TVA sur marge ? »).

 

Cette réflexion, notamment issue de la proposition de loi déposée le 7 août 2009 à la Présidence de l’assemblée nationale par Monsieur le Député Jean-Luc WARSMANN, suscite d’autres interrogations quant à la légalité de « l’ancienne » TVA sur marge qui grevait les cessions d’immeubles achevés depuis plus de 5 ans par une personne agissant en qualité de marchand de biens (l’article 257 du Code Général des Impôts ayant fait l’objet d’une totale refonte à compter du 11 mars 2010, date d’entrée en vigueur de la loi n° 2010-237 du
9 mars 2010 dite Loi de Finances rectificative pour 2010).

 

Pour mémoire, lorsque la mutation ne relevait pas de la TVA immobilière proprement dite (opérations concourant à la production ou à la livraison d’un immeuble), notamment lorsqu’elle portait sur un immeuble bâti achevé depuis plus de 5 ans, celle-ci était en principe obligatoirement soumise à la TVA sur marge dès lors que le cédant agissait en qualité de marchand de biens, c'est-à-dire de manière habituelle et avec intention spéculative lors de l’acquisition de l’immeuble ultérieurement revendu.

 

L’examen de la directive TVA susvisée tend à penser que cette taxation systématique à la TVA sur marge des opérations réalisées par les marchands de biens est incompatible avec le droit communautaire prévoyant uniquement une faculté d’option pour la taxation des livraisons de biens portant sur des immeubles ne répondant pas à la définition des terrains à bâtir ni des immeubles neufs.

 

En effet, en matière de livraisons de bien portant sur un immeuble, ladite directive subordonne la qualification d’assujetti aux hypothèses où l’opération porte soit sur un terrain à bâtir, soit sur un immeuble neuf.

 

A l’inverse, lorsque la cession porte sur d’autres biens immobiliers qui ne répondent ni à la définition du terrain à bâtir, ni à celle de l’immeuble neuf ou assimilé, le droit communautaire n’institue qu’une faculté d’option pour l’assujettissement à la TVA d’une telle opération.


 

Or, il est d’usage d’enseigner qu’en matière de TVA, les opérations peuvent être regroupées en 4 catégories :

 

-          Les opérations qui sont dans le champ d’application matériel de la TVA et sont donc imposables de plein droit ;

-          Les opérations qui, dans le champ d’application de ladite taxe, sont expressément exonérées ;

-          Les opérations qui sont imposables sur option ;

-          Ainsi que celles qui, hors du champ d’application de ladite taxe, ne sont imposables que par détermination de la Loi.

 

Lorsqu’une opération n’est imposable que sur option, cela signifie qu’en l’absence d’exercice de cette option par l’opérateur économique, celle-ci demeure soit hors du champ d’application de la taxe, soit exonérée.

 

Il s’ensuit qu’à la lecture de la directive TVA du 28 novembre 2006, la cession d’un immeuble bâti qui ne répond à la définition de l’immeuble neuf (ni, par définition, à celle d’un terrain à bâtir) échappe à la TVA lorsque le cédant n’exerce pas l’option pour l’assujettissement à la taxe.

 

Cette faculté d’option s’inscrit donc en contradiction avec la taxation systématique prévue par le droit interne français applicable aux cessions réalisées jusqu’au 10 mars 2010 inclus.

 

D’ailleurs, plusieurs parlementaires ont reconnu, dans le cadre des débats préalables au vote de la Loi de finances rectificative pour 2010, qu’en privant les acteurs économiques de la possibilité d’opter pour la taxation à la TVA des livraisons d’immeubles achevés depuis plus de 5 ans, ce système était contraire au droit communautaire, raison pour laquelle ladite Loi a définitivement mis fin au régime spécifique des marchands de biens issu de l’ancien article 257, 6° du Code Général des Impôts.

 

Le législateur n’ayant pas souhaité régir, sur ce point, les opérations réalisées avant l’entrée en vigueur de ladite Loi de finances rectificative, les contribuables demeurent libres de contester, par voie de réclamation contentieuse, la taxe collectée, déclarée et payée sur la base d’un texte du droit interne contraire au droit communautaire, et d’en solliciter la restitution corrélative, majorée d’intérêts moratoires.

 

Ils disposent pour ce faire d’un délai expirant le 31 décembre de la seconde année suivant celle du versement de la taxe litigieuse, sauf à opposer le délai spécifique applicable dans l’hypothèse où cette non-conformité serait révélée par une décision juridictionnelle ou un avis rendu au contentieux. 

   

TEMPETE SUR LA TVA IMMOBILIERE :

L’ETAT DOIT-IL RESTITUER LA TVA SUR LA MARGE?

 

 L’examen de la proposition de loi déposée le 7 août 2009 à la Présidence de l’Assemblée Nationale par Monsieur le Député Jean-Luc WARSMANN a mis en exergue l’incompatibilité du droit interne français avec le droit communautaire.

 L’article 55 de cette proposition de loi tend notamment à assurer la mise en conformité du droit interne français avec la directive n° 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, applicable depuis le 1er janvier 2007.

 Plus précisément, le rapport de la Commission des lois souligne que contrairement aux dispositions de l’article 135 de la directive, la loi française exonère de TVA les cessions de terrains à bâtir réalisées par un professionnel de l’immobilier (marchand de biens, lotisseur ou aménageur) au profit d’une personne physique destinant l’immeuble à l’édification d’une construction à usage d’habitation.

 Dans la mesure où une telle exonération de TVA est expressément exclue par l’article 135 de la Directive, la Commission Européenne a engagé, par un avis motivé du 20 novembre 2009, une procédure d’infraction à l’encontre de l’Etat français en lui demandant de modifier dans un délai de deux mois sa législation sur ce point.

 Tel est l’objet de l’article 55 de la proposition de loi susvisée.

Néanmoins, en l’état actuel des débats, le législateur français n’envisage pas le règlement des situations passées, c’est-à-dire antérieures à la promulgation de la future loi qui aura pour objet de mettre en conformité le droit français par rapport à la Directive.

 Le professionnel de l’immobilier (lotisseur ou marchand de biens) serait fondé à solliciter auprès de l’Etat français, dans la limite du délai de réclamation (31 décembre de la 2ème année qui suit celle du versement de l’impôt contesté lorsque celui-ci n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rôle), la restitution de la TVA collectée et reversée au Trésor à raison des ventes de terrains à bâtir soumises à la TVA sur la marge.

Nul n’ignore en effet que depuis 1975, le Juge judiciaire, faisant application du principe de primauté du droit conventionnel sur le droit interne, estime qu’en cas de litige, il convient d’écarter l’application d’une disposition de droit interne contraire à une norme supérieure (notamment règlement communautaire ou directive), raisonnement suivi par le Juge administratif depuis l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 octobre 1989 (affaire NICOLO).

 Ainsi, saisi d’une contestation émanant d’un lotisseur ayant collecté une TVA sur marge dans les conditions évoquées ci-avant, le Juge de l’Impôt constaterait que le fondement légal de cet impôt se trouve fragilisé par son caractère subsidiaire (« sous réserve du 7° ») ; en d’autres termes, la TVA sur marge due en application de l’article 257, 6° du Code Général des Impôts « cède » lorsque la TVA « immobilière » proprement dite, fondée sur l’article 257, 7° du Code Général des Impôts, trouve à s’appliquer.

 

Tel est précisément le cas lorsque la cession porte sur un terrain à bâtir, sauf lorsque ce terrain est acquis par une personne physique en vue de la construction d’une maison à usage d’habitation.

 Néanmoins, compte tenu du principe de primauté du droit international sur le droit interne, le Juge de l’impôt doit écarter l’application de la disposition de droit interne non conforme au droit communautaire, entraînant ainsi un retour au principe de l’imposition à la TVA sur la totalité du prix de vente.

Compte tenu de leur caractère subsidiaire, les dispositions de l’article 257, 6° du Code Général des Impôts ne pourraient plus constituer le fondement légal de l’imposition à la TVA d’une telle cession.

 Or, dans cette hypothèse, le professionnel de l’immobilier serait autorisé à solliciter le remboursement de la TVA initialement versée au Trésor, puisque le Code Général des Impôts et son annexe II précisent clairement que le redevable de la TVA est l’acquéreur, sauf si l’immeuble a d’ores et déjà fait l’objet d’une précédente mutation passible de la TVA.

En résumé, l’administration fiscale et, le cas échéant, le Juge de l’impôt, devraient faire droit à une telle demande de restitution à la seule condition d’établir, pour le professionnel de l’immobilier, que le terrain à bâtir vendu à un particulier personne physique n’avait pas fait l’objet d’une précédente mutation soumise à la TVA.

Il ne fait aucun doute qu’une telle argumentation ne manquera pas d’être opposée par les contribuables et/ou leurs conseils, soit aux fins de restitution de la TVA collectée sur ce fondement, soit aux fins de dégrèvement d’une imposition supplémentaire fondée sur les dispositions de l’article 257, 6° du Code Général des Impôts.

 Il conviendra alors d’examiner la solution rendue par le Juge Administratif, qui ne pourra rester étranger au préjudice financier susceptible d’être subi par le Trésor Public en cas de multiplication de ce type de contentieux ; contentieux qu’il appartient aux entreprises concernées d’engager sans attendre si elles ne veulent pas se voir opposer le délai de prescription rappelé ci-avant.