Prélèvements sociaux sur revenus du patrimoine et de placement des non-résidents :

La réaffectation budgétaire met-elle fin à l’inconventionnalité du droit français ?

A titre liminaire, il convient de rappeler que le propos se limite aux personnes physiques fiscalement domiciliées hors de France au sens de l'article 4 B du CGI[1] ou non résidentes de France au sens des conventions fiscales internationales.

Pour mémoire, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 16 août 2012 de Finances rectificative[2], les personnes physiques qui ne résident pas en France sont assujetties aux prélèvements sociaux au taux de 15,5 % sur les revenus fonciers et les plus-values immobilières de source française.

Ces dispositions ont été jugées inconventionnelles par la Cour de Justice de l’Union Européenne aux termes d’un arrêt du 26 février 2015[3] décidant notamment que :

Ø  Tout d’abord, les différentes composantes des prélèvements sociaux doivent être qualifiées de « cotisations sociales » dès lors que leur produit finance la sécurité sociale de l’Etat concerné,

Ø  Le principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, posé par le Règlement Communautaire n°1408/71, en son article 13, vise à éviter les complications qui peuvent résulter de l’application simultanée de plusieurs législations nationales et à supprimer les inégalités,

Ø  Or, la législation française, en faisant entrer les personnes physiques non domiciliées en France, dans le champ des cotisations sociales, leur impose de financer les mécanismes de sécurité sociale en France, alors même qu’ils ne bénéficient pas de ces régimes et qu’ils sont eux-mêmes affiliées à la sécurité sociale dans l’Etat où ils exercent leur activité professionnelle, créant ainsi une inégalité de traitement.

A la suite de cette décision, le Conseil d’Etat a appliqué la jurisprudence communautaire dans une décision du 17 avril 2015.

Dans le cadre de la question préjudicielle, soumise le 26 février 2015, à la Cour de Justice de l’Union Européenne, le Conseil d’Etat, le 27 juillet 2015, s’est à nouveau rallié à la position adoptée par cette dernière à l’occasion de l’étude de l’affaire « de Ruyter », à l’origine de la saisine de la Cour de Justice.

Prenant acte de ces décisions, le Ministère des Finances et des Comptes publics, dont dépend la Direction générale des finances publiques, confirmait  le 20 octobre 2015 que les non-résidents étaient fondés à solliciter le remboursement des contributions sociales acquittées sous certaines conditions.

Parallèlement, le Gouvernement français a souhaité mettre en conformité le droit français avec le droit communautaire ; ainsi, l'article 24 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2016 modifie, à compter du 01er janvier 2016, l'affectation budgétaire des prélèvements sociaux sur revenus du patrimoine et de placement avec pour objectif leur mise en conformité avec le droit communautaire à la suite de la jurisprudence « de Ruyter ».

En d’autres termes, l'idée est de réorienter le produit des prélèvements jusqu'ici affectés à des organismes servant des prestations contributives vers ceux servant uniquement des prestations non contributives.

Ainsi, procédant à une interprétation stricte de la décision rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne, le Gouvernement a entendu réorganiser le financement des mécanismes français de Sécurité Sociale et affecter le produit des prélèvements sociaux à des entités ne faisant, a priori, pas partie des branches générales de la sécurité sociale.

Le Gouvernement prétend dès lors rendre inapplicable la Jurisprudence précitée en alléguant que le produit des contributions litigieuses n’a plus pour objet de financer la Sécurité Sociale française ; ce qui, selon lui, exclut l’inégalité de traitement initialement condamné par la Cour de Justice de l’Union Européenne.

Par conséquent, les prélèvements sociaux visés par le présent article continuent donc de s'appliquer aux personnes physiques fiscalement domiciliées en France ou hors de France, peu important qu'elles y soient, ou non, affiliées à un régime social obligatoire.

   

 

EXONERATION D’IMPOT SUR LE REVENU POUR LE TEMPS DE TRAVAIL ADDITIONNEL DES PRATICIENS HOSPITALIERS : SUITE ET (HEUREUSE) FIN

 

Voilà un peu plus d’un an j’avais évoqué le pourvoi en cassation formé le 12 novembre 2013 par le Ministre délégué chargé du budget à l’encontre de l’arrêt[1] rendu le 24 septembre 2013 par la Cour administrative d’appel de LYON.

 

Au cours de l’année 2014, de nombreux Tribunaux administratifs et Cours administratives d’appel s’étaient, à ma demande, prononcés en faveur de l’éligibilité des indemnités perçues en contrepartie du temps de travail additionnel effectué par les praticiens hospitaliers entre les 01er octobre 2007 et 1er août 2012 à l’exonération prévue par l’article[2] 81 quater I, 5° du Code général des impôts, laissant ainsi présager une heureuse fin à cette longue bataille juridique entamée en novembre 2011.

 

C’est dans ce contexte qu’aux termes d’un arrêt[3] rendu le 02 février 2015, le Conseil d’Etat a définitivement validé la thèse que je défends depuis novembre 2011 en infirmant donc solennellement la réponse Ministérielle « JARDE » du 29 novembre 2011 et en considérant que les praticiens, à temps plein ou à temps partiel, constituent des agents publics bénéficiant de l’exonération d’impôt sur le revenu prévue (pour le temps de travail additionnel effectué jusqu’au 1er août 2012) par les dispositions du 5° du I de l’article 81 quater du Code Général des Impôts, quand bien même il ne seraient pas régis par la loi du 09 janvier 1986 portant statut de la Fonction Publique Hospitalière, l’article 1er du décret du 04 octobre 2007 n’ayant pu restreindre le champ d’application de l’exonération fixée par le législateur.

 

Il s’agit d’une véritable hypothèse d’école où le Juge de l’impôt, en rappelant la hiérarchie des normes du droit fiscal, censure la doctrine administrative[4] de la Direction générale des finances publiques, laquelle ne s’impose pas au contribuable et ne peut constituer le fondement légal d’une imposition.

 

En théorie, cet arrêt devrait donc conduire la Direction générale des finances publiques soit à admettre les réclamations contentieuses en cours d’instruction, soit à dégrever des impositions contestées en cours d’instance devant les Tribunaux administratifs et les Cours administratives d’appel, ainsi qu’à se désister des appels et pourvois formés à l’encontre des jugements et arrêts ayant statué dans un sens favorable aux praticiens hospitaliers.

 

Indépendamment de ces contentieux en cours, nombre de praticiens hospitaliers s’interrogent au sujet des conséquences de l’arrêt n°373259 rendu le 02 février 2015 par le Conseil d’Etat.

 

En dehors des instances en cours, il convient de distinguer quatre hypothèses principales :

 

1)      Vous n’avez adressé aucune réclamation contentieuse, ni fait l’objet d’une procédure de rectification :

 

Dans ces cas, il vous encore possible, jusqu’au 31 décembre 2015, de présenter une réclamation contentieuse aux fins de décharge partielle de votre cotisation initiale d’impôt sur les revenus 2012, à condition, naturellement, que vous ayez perçu au cours de l’année 2012 des indemnités en contrepartie du temps de travail additionnel effectué entre les 01er octobre 2007 et 1er août 2012 (en pratique deuxième quadrimestre 2012), et que ces indemnités aient été assujetties à l’impôt sur le revenu.

 

En revanche, les cotisations d’impôt assises sur le revenu des années antérieures (2007 à 2011) ne peuvent plus faire l’objet d’une réclamation contentieuse puisque :

 

·         le délai de réclamation expire[5] le 31 décembre  de la 2ème année suivant celle de la mise en recouvrement du rôle (et en théorie[6] l’impôt grevant les revenus de l’année N est mis en recouvrement au cours de l’année N+1),

·         la faculté de dégrèvement d’office[7] dont dispose la Direction générale des finances publiques ne constitue pas un droit, mais une simple faculté qu’elle exerce discrétionnairement, sans contrôle du juge de l’impôt,

·         l’éventuelle réclamation fondée sur la non-conformité de la règle de droit dont il était fait application par Direction générale des finances publiques par rapport à une norme supérieure, révélée par l’arrêt du Conseil d’Etat, s’exerce désormais[8] dans les deux ans suivant la mise en recouvrement de l’impôt,

·         le délai spécifique[9] applicable aux cotisations d’impôt établies à tort ou faisant double emploi ne concerne pas l’hypothèse où l’impôt a été établi d’après la déclaration du contribuable.

 

2)      Vous avez adressé une réclamation contentieuse qui a été rejetée et que vous n’avez pas contestée dans les deux mois devant le Tribunal administratif :

 

Ici encore, il est inutile de réitérer cette réclamation (sauf pour les revenus de l’année 2012 ; cf. supra) ou de saisir tardivement le Tribunal administratif.

 

Notez néanmoins que dans certains cas, la Direction générale des finances publiques ne prend pas soin de notifier les décisions de rejet par pli recommandé avec demande d’avis de réception et ne peut donc justifier la date à laquelle vous avez reçu la décision, point de départ du délai[10] de saisine du Tribunal.

 

Dans cette dernière hypothèse, certes marginale, il vous est alors possible de saisir à tout moment le Tribunal administratif d’une requête tendant à l’annulation de la décision implicite de rejet résultant du « silence » gardé par la Direction générale des finances publiques pendant plus de 6 mois sur votre réclamation contentieuse[11].

 

3)      Vous avez adressé une réclamation contentieuse qui a été rejetée, vous avez saisi sous deux mois le Tribunal administratif, qui a rejeté votre requête par un jugement que vous n’avez pas contesté sous deux mois devant la Cour administrative d’appel :

 

Il est inutile de réitérer une réclamation ou de saisir tardivement la Cour administrative d’appel.

 

L’impôt sur les revenus de l’année 2012 demeure néanmoins contestable dans les conditions décrites supra (hypothèse n°1) si et seulement si le Tribunal n’a pas statué au fond sur les revenus de l’année 2012.

 

L’autre exception, purement théorique, concerne l’hypothèse où le jugement ne vous a pas été notifié par pli recommandé avec demande d’avis de réception ; Il en va de même si les voies et délais de recours n’ont pas été expressément mentionnés dans la lettre de notification.

 

4)      Vous avez fait l’objet d’une procédure de rectification :

 

Cette dernière hypothèse concerne notamment les praticiens qui ont pris l’initiative de porter la rémunération perçue en contrepartie du temps de travail additionnel dans la rubrique réservée aux heures supplémentaires exonérées d’impôt sur le revenu, ou encore ceux qui ont purement et simplement soustrait cette rémunération du montant imposable avant frais professionnels et qui ont, dans le délai reprise[12] reçu une proposition de rectification portant réintégration de cette fraction au sein de leur revenu imposable.

 

Dans ce cas, vous disposez d’un délai[13] expirant le 31 décembre de la 3ème année suivant celle de la réception de la proposition de rectification pour adresser une réclamation contentieuse et ceci même si la proposition de rectification porte sur d’autres chefs rappels ; la seule condition réside dans l’identité d’impôt et d’année d’imposition.

 

Exemple : Un praticien hospitalier a été assujetti à l’impôt sur les revenus 2009, 2010 et 2011 en comprenant dans son revenu imposable les indemnités perçues en contrepartie du temps de travail additionnel. L’administration des impôts lui a par ailleurs notifié en décembre 2012 une proposition de rectification fondée sur la non-déductibilité de certaines dépenses imputées sur ses revenus fonciers des mêmes années ; il dispose alors d’un délai expirant le 31 décembre 2015 pour demander la décharge partielle des cotisations d’impôt sur le revenu 2009, 2010 et 2011 à hauteur de la rémunération perçue en contrepartie du temps de travail additionnel.

 

La recevabilité d’une réclamation fondée sur ce délai spécifique suppose toutefois que le litige n’ait pas été d’ores et déjà tranché par un jugement au fond du Tribunal administratif.

 

Je me tiens naturellement à votre disposition pour vous assister dans le cadre d’une procédure contentieuse si votre situation correspond à une hypothèse de recevabilité.

 



[1] N°12LY00065

[2] Dans sa rédaction antérieure à la loi n°2012-958 du 16 août 2012

[3] N°373259

[4] Réponses ministérielles, documentation de base et bulletin officiel des impôts (ces deux derniers étant regroupés depuis septembre 2012 au sein du « BOFIP » (bulletin officiel des finances publiques)

[5] Cf. article R 196-1, alinéa 1, « a » du Livre des procédures fiscales

[6] Il peut toutefois arriver que l’impôt dû au titre d’une année N soit mis en recouvrement au cours de l’année N+2 ou N+3, auquel cas il demeure contestable jusqu’au 31 décembre des années N+4 ou N+5

[7] Cf. article R 211-1 du Livre des procédures fiscales

[8] Cf. alinéa 4 de l’article L 190 du Livre des procédures fiscales dans sa rédaction issue de la loi n°2013-1117 du 06 décembre 2013

[9] Cf. article R 196-1, alinéa 2, « c » du Livre des procédures fiscales

[10] 2 mois (4 mois pour les non-résidents)

[11] Il en va de même si les voies et délais de recours n’ont pas été expressément mentionnés sur la décision de rejet

[12] 31 décembre de la 3ème année suivant celle au titre de laquelle l’impôt est dû

[13] Cf. article R 196-3 du Livre des procédures fiscales